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Un ami ne vous juge pas, ne vous condamne pas. Il est pondéré, ouvert. S'il manifeste un esprit critique, c'est dans le bon sens du terme. Il ne cherche pas à vous convaincre. Il ne vous oblige pas à le suivre. Il vous respecte, même s'il ne partage pas vos idées.     Il vous  accompagne volontiers, mais ne vous impose pas sa présence. Vous pouvez compter sur lui quand vous êtes dans la détresse. Il a pour réelle préoccupation votre bien être.

L'observation d'un enfant aliéné nous permet de constater à quel point il manque dans sa vie la présence d'un vrai ami. Le parent qui s'occupe de cet enfant n'affiche  aucune des qualités énumérées ci-dessus.   La personnalité de l'enfant est étouffée et la seule personne qui aurait en mesure de lui apporter la nourriture spirituelle et l'affection indispensables à son développement a été mis sur la touche, et se trouve, dans la plupart des cas, incapable d'agir. 

„Un ami, c'est un autre moi.“

- Pythagore -
La rencontre d'un ami peut changer le cours de l'aliénation et permettre une prise de conscience. Mais il faut savoir accueillir cette présence, et tout s'oppose chez l'enfant aliéné à ce qu'il  s'ouvre à cette nouvelle rencontre.  Il a d'abord été brimé, mentalement et parfois physiquement, au point qu'il doute de ses propres perceptions.  Il n'est plus capable de lire les intentions désintéressées, surtout  quand elles se dirigent vers lui. Il a cohabité avec un parent qui l'a utilisé comme un objet de sa vengeance,  comme l'alibi de ses conflits.  Il ne connaît désormais que la manipulation et l'amour conditionnel. C'est en fonction du rôle qu'il est amené à jouer qu'on lui prête attention et lui accorde de l'estime.

Comment peut-il être  prêt à cette révolution intérieure qu'implique l'acceptation de la main désintéressée qu'on lui tend?

Il y a plusieurs facteurs qui rendent néanmoins cette rencontre possible.  Les manifestations inattendues de  la providence se révèlent parfois à travers un simple sourire,  un regard,  un geste, dont la nature inconditionnelle détonne dans le paysage.  Ce petit rien trouve un point d'ancrage  dans une tristesse trop longtemps contenue.  Il remue le cœur et offre une perspective différente, un espoir,  une issue au conflit intérieur trop longtemps enduré.  La présence fugitive de la providence  peut ensuite se matérialiser dans la rencontre avec une personne qui incarne ce renouveau. Une personne, comme nous l'avons vu, qui ne juge pas, qui ne cherche pas à ce que l'on prenne parti pour elle,  mais qui affranchit de sa condition l’enfant ou l’adulte aliéné, en lui insufflant la force et la confiance qui lui manquent.

Il est essentiel que l'ami providentiel montre cette pureté de cœur,  cet attachement à des valeurs humanistes et universelles,  pour permettre la métamorphose de l'individu aliéné qui, de toute manière,  ne pourra s'effectuer que sous son entière responsabilité. C'est lui qui en retirera le mérite, car c'est sa propre volonté qui est à l’œuvre dans ce changement.

Il faut voir ensuite dans les transitions de vie importantes des occasions, qui permettront cette rencontre impromptue. Bien qu'un enfant  aliéné ait pu vivre dans le «cocon», paradoxalement sécurisant, d'un univers manichéen façonné par le parent aliénant, se prémunissant ainsi de toute influence extérieure «perturbatrice»,  bien qu'il ait, jusqu'à sa majorité et même après,  fait siennes les lois de ce monde dichotomique, où la méfiance et la médisance sont omniprésentes, bien qu'il ressente la nécessité d'être toujours sur ses gardes,  redoutant les attaques de ses ennemis réels ou imaginaires, bien qu'il ne se soit jamais attendri par le spectacle de la misère ou de l'injustice,  bref bien que son cœur se soit complètement desséché,  il est toutefois fort probable que le destin, et non plus la providence, arrête sa marche forcée.  

Malgré toutes ses précautions, il n'échappe pas au sort commun des mortels.  La maladie, l'épreuve,  la précarité,  la défaite, la rupture et   l'abandon,   viennent un jour frapper à sa porte. Peut-être sera-il surpris, choqué, outré ou  désespéré que le sort s’acharne ainsi sur lui.  Peut-être fera-t-il le point, commencera-t-il à réfléchir.  Peut-être se rappellera-t-il de  la présence bénévole qu'il avait écartée d’un revers de main, avec morgue et mépris. Peut-être se souviendra-t-il de ce parent devenu la brebis galeuse de la famille qu'il a rejeté avec la même cruauté que son mentor.  Peut-être se sentira-il souillé, non seulement d'avoir subi l'influence néfaste d'un parent manipulateur, mais d'avoir repris le flambeau avec le même enthousiasme.   Peut-être sera-t-il également devenu lui-même un bouc émissaire, devant subir l'aliénation de son conjoint et de ses enfants.  Peut-être se rendra-t-il même compte que quelque chose cloche, en étant devenu lui-même un parent aliénant, demandant à ses enfants de haïr leur autre parent.  Peut-être verra-t-il dans le regard de l’enfant qu’il abuse, le traitement qui lui avait été infligé.

Quoi qu'il en soit seul un ami providentiel pourra le tirer de ce marasme. Et cet ami pourrait être, en définitive, l'auteur d'un livre, qui éclaire soudain sa misérable existence, et qui lui donne envie de regagner le monde des vivants.  Un livre, une pensée,  une citation qui, en quelques mots, ouvre une porte de sortie du cloaque dans lequel il s'est laissé enfermer.